Candidat : Jacques Pezet — Libé désintox
En mai 2016, l’annonce, à l’occasion du centenaire de Verdun, de la tenue d’un concert du rappeur Alpha Diallo dit « Black M » enflamme les réseaux sociaux. La mobilisation de la réinfosphère puis de certains politiques entraînera de justesse l’annulation dudit concert.
En guise de riposte pour « faire barrière à ces propos haineux [sic] », le rappeur et ses conseillers en communication se fendent d’un communiqué larmoyant où la France n’est plus qualifiée de « pays de kouffars » comme l’un de ses précédents succès (« Désolé ») mais de « terre pour laquelle [son] grand-père Alpha Mamoudou Diallo, d’origine guinéenne, a combattu lors de la guerre 39–45 au sein des Tirailleurs Sénégalais — ces mêmes Tirailleurs Sénégalais qui étaient également présents lors de la Bataille de Verdun ». Le communiqué est accompagné d’une photographie montrant cinq soldats noirs.
En sortant opportunément de son chapeau – une casquette – un grand-père tirailleur sénégalais, après avoir plutôt plaidé l’envie de s’amuser, Black M tend à faire accroire que sa présence à des commémorations du glorieux sacrifice des soldats français, nos aïeux, n’était au fond ni incongrue ni indécente. Mais de l’opportunité à l’opportunisme, il n’y a qu’un pas et quelques lettres : d’aucuns trouvent bien curieux l’évocation soudaine de ce grand-père et sont réservés à l’idée de croire le rappeur sur parole(s).
Aussi, face aux sceptiques mettant en doute l’existence de cette ascendance militaire sur laquelle repose le plan com’ de Black M, Le Monde et Libé vont-ils mener un vrai travail d’enquête afin de prouver la véracité des dires du rappeur.
Un « historien amateur » – dont l’opinion compte peu pour les rois de la « désintox », selon lesquels « d’habitude quand on cherche un expert crédible, on essaie de trouver un universitaire spécialiste du sujet » –, consultant les registres établis en France, a montré que le nom d’Alpha Mamoudou Diallo n’y figurait pas. Qu’à cela ne tienne ! C’est en Afrique que les journalistes, qui quoique non universitaires ont à n’en pas douter, eux, une vraie crédibilité, mènent donc leurs recherches. Sur les bases d’une attestation de l’Association des enfants des tirailleurs sénégalais de Guinée, ils titrent ainsi :
« Oui, le soldat Diallo, grand-père de Black M, a bien combattu en 39–45 » pour Libération, article du 21 mai 2016.
« Le grand-père de Black M a bien combattu pour l’armée française » pour Le Monde, article du 23 mai 2016.
Cette affirmation martelée contre la supposée « fachosphère » semble sonner comme un camouflet.
Oui mais…
1) Tout d’abord, ladite Association des enfants des tirailleurs sénégalais en Guinée, qui au passage n’est pas non plus un « universitaire spécialiste du sujet », semble une source un peu douteuse, en ce qu’elle fut naguère pointée du doigt par l’Ambassade de France en Guinée pour ses nombreuses approximations (et notamment le chiffrage, exorbitant et improbable, de 161 millions de tirailleurs recrutés).
2) Ce Diallo-là aurait été radié des cadres en 1933 et n’aurait donc pas fait la guerre de 39–45.
3) Le 27 mai, en publiant la fiche militaire du fameux grand-père – obtenue non en Guinée mais à Caen –, les décodeurs du Monde avouent, en contradiction avec le titre fièrement énoncé quatre jours plus tôt : « cette fiche ne permet pas de prouver la filiation entre Alfa Diallo et le rappeur, ce qui serait quasi impossible faute de documents suffisants ». Sans compter que, sur ladite fiche, le tirailleur ne s’appelle pas Alfa Mamoudou Diallo mais Alfa Diallo (un nom on ne peut plus courant) : les articles du 24 mai et du 27 mai évoquent-ils seulement le même soldat ? Il est permis d’en douter.
4) Enfin, en janvier 2017, sur Twitter, Jacques Pezet et ses amis de la « désintox » avouent que leurs recherches ne sont toujours pas achevées et qu’ils attendent encore des « réponses des archives militaires de Pau » avec un risque que l’enquête finisse en 2019.
@LibeDesintox @paulinemoullot On raconte qu’il est plus facile de croiser Black M au Brésil que de trouver la fiche de son grand-père à Pau.
— Jacques Pezet (@Jacques_Pezet) 10 janvier 2017
Au regard, notamment, de ces aveux d’impossibilité de prouver la filiation ou du caractère inachevé de l’enquête, l’affirmation, commune aux deux journaux, selon laquelle le grand-père de Black M était bel et bien tirailleur sénégalais apparaît a posteriori comme un bobard par précipitation. Qui sait, peut-être parviendra-t-on, un jour, à prouver la véracité du plan com’ du rappeur : il n’en demeure pas moins qu’en mai 2016, Le Monde et Libé se sont bien imprudemment avancés.
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