Date du bobard : plusieurs années jusqu’à fin 2018
Les bobardeurs : Claas Relotius, Der Spiegel
Der Spiegel, la référence allemande
Der Spiegel (« Le Miroir » en français) est l’hebdomadaire allemand le plus connu et le plus vendu outre-Rhin. Libéral, progressiste, pro-Bruxelles, il revendique plus de 700 000 copies vendues et plus de six millions de lecteurs en ligne, et a influencé les magazines français Le Point et L’Express. Il se présente comme une autorité morale, défenseur des libertés, spécialiste du journalisme d’investigation et de la vérification de l’information.
Le parcours sans faute de Claas Relotius
Claas Relotius était un journaliste vedette, une des plumes du Spiegel, un homme de 33 ans qui, le 3 décembre, à Berlin, s’était vu décerner le prix du meilleur reportage de l’année pour un article sur la guerre en Syrie paru en juin dans le grand hebdomadaire allemand.
Plusieurs fois primé, modeste et apprécié, il était le jeune journaliste le plus en vue en Allemagne.
Il avait été élu par CNN en 2014 « journaliste de l’année » et récompensé de l’équivalent du prix Pulitzer allemand. Il avait reçu l’année d’avant le prix Médias décerné par l’Association suisse des journalistes catholiques (ASJC).
#CNN Journalist of the Year 2014 is #FakeNews. Enjoy #TeamTrump. #Trump #Relotius https://t.co/fl9OBZrVKr
— AfD Heidelberg (@AfD_HD) December 19, 2018
Le Parisien nous apprend qu’il n’a pas 30 ans « quand il arrive, en 2014, au Spiegel. Il y fait des piges, accepte de participer à des enquêtes collectives, s’informe auprès des uns et des autres, écoute les conseils. Un jour tombe le texte qui, soudain, le consacre. Il raconte l’histoire d’un Yéménite reclus depuis quatorze ans dans la prison de Guantanamo. Quelle surprise de découvrir une telle maîtrise de la forme, de l’humour, du rythme ! Il n’y a presque rien à reprendre, tant on est pris par l’aisance du récit.
“À lire de tels articles, je suis fier d’être journaliste”, confesse une personnalité des médias allemands. Relotius est alors tellement apprécié, qu’il collabore à loisir pour d’autres titres prestigieux. »
(source).
La chute sera d’autant plus dure, pour lui ainsi que pour les médias allemands.
Les falsifications
Plusieurs articles avaient entraîné des soupçons.
Exemple avec son article (aujourd’hui retiré par le Spiegel) sur une petite ville américaine ayant largement voté Trump dont il avait dressé un portrait apocalyptique… complètement faux ! Alors même qu’il s’était rendu trois semaines dans la ville, il avait multiplié les bobards de manière insensée.
Un habitant de la ville, estomaqué par les mensonges de Claas Relotius, a listé les 11 falsifications les plus grossières dans un article publié sur le site participatif Medium.
Dans le même temps, l’un des articles de Claas Relotius sur un groupe anti-migrants patrouillant le long de la frontière américano-mexicaine a lui aussi éveillé les soupçons.
Scandale du Spiegel : le journaliste Juan Moreno explique comment il en est venu à soupçonner son confrère Claas Relotius de bidonner ses papiers, alors que tous deux travaillaient sur l’histoire une milice de citoyens US à la frontière mexicaine. Dingue ! https://t.co/YbjigFFonU
— Thomas Wieder (@ThomasWieder) December 20, 2018
Le Parisien écrit : « À la parution [de cet article], [Juan Moreno, un collègue] journaliste indépendant, note un certain nombre d’invraisemblances dans le travail de son confrère. Lequel se défend brillamment, refuse tout reproche, admet quelques faiblesses.
Il a la hiérarchie de son côté : on ne touche pas au premier de cordée. C’est le travail de Juan Moreno lui-même qui est remis en question, au point qu’il s’inquiète pour son avenir. Alors, chose extraordinaire, profitant d’un nouveau voyage outre-Atlantique, il va reprendre l’enquête du côté américain, à ses frais. Et apporte la preuve irréfutable des mensonges qu’il soupçonnait : plusieurs personnes citées lui confirment qu’elles n’ont jamais rencontré le journaliste allemand. » (source).
Au même moment, le 3 décembre 2018, un des membres du groupe de vigilance anti migrants prétendument suivi par Relotius contacte le Spiegel en affirmant que Relotius ne les avait jamais contactés.
Ironie de l’histoire, les falsifications de Claas Relotius éclatent au grand jour alors même qu’il reçoit un prix pour son travail journalistique !
Le Monde écrit : « “Après avoir commencé par nier, Relotius a finalement avoué en fin de semaine dernière”, indiquait, mercredi, le Spiegel. Selon l’hebdomadaire, le reporter, qui a désormais quitté l’entreprise, a “trompé avec intention et de façon méthodique”, n’a “jamais rencontré nombre de protagonistes qu’il cite”. Quant à ses “descriptions”, “beaucoup sont inspirées d’autres médias ou d’extraits vidéo”.
Pour expliquer son besoin d’enjoliver ses récits afin de les rendre plus plaisants à lire, Claas Relotius aurait évoqué “la peur de l’échec” : “La pression que je me mettais à ne pas m’autoriser à échouer grandissait au fur et à mesure que j’avais plus de succès”, aurait-il avoué à sa hiérarchie. “Je suis malade et j’ai besoin qu’on m’aide”, aurait-il ajouté.
Dans son article de mercredi, le Spiegel affirme que l’affaire est “un des moments les plus difficiles de [ses] 70 ans d’histoire”, “un choc” pour l’ensemble des employés du magazine de Hambourg, fondé en 1947 et longtemps considéré comme le temple du journalisme d’investigation en Allemagne. »
Ampleur des fraudes de Claas Relotius : au moins une quinzaine d’articles entièrement bidonnés et sans doute beaucoup plus, mêlant reportage et inventions.
Un journalisme politiquement correct
La force de Claas Relotius et de ses mensonges ? Il a toujours collé au politiquement correct, ce qui a évidemment suscité moins de doutes et d’enquêtes de sa hiérarchie qui voyait ses préjugés politiquement corrects confirmés.
L’OJIM note : « Sa recette était simple : coller à l’actualité et au politiquement correct. Dénoncer la peine de mort aux États-Unis ? Hop, Claas invente la figure d’une femme qui parcourt les lieux des exécutions pour y mettre fin. Un papier contre la torture ? Hop, hop, Claas fait surgir un Yéménite détenu à Guantanamo, comme le génie sorti de la lampe d’Aladin. Un peu de Syrie ? Hop, hop, hop, il suscite un adolescent qui aurait déclenché la guerre. Réchauffement climatique ? Il se transporte sur un tapis volant dans une île du Pacifique menacée par la montée des eaux, même si l’île se trouve en réalité dans sa chambre. Du Trump bashing de base ? Toujours vif, Claas réalise un entretien bidon avec un célèbre footballeur anti-Trump. »
Le Spiegel, par son inconséquence et son absence de vérifications sérieuses, a une grande part de responsabilité dans ce fiasco journalistique.
À Hambourg, à l’entrée du siège du prestigieux Spiegel, la devise du média est fièrement affichée : « Sagen was ist ». En français, cela signifie « dites ce qui est ». Avec l’affaire Claas Relotius, la crédibilité de cette promesse s’est envolée en fumée.